Le scribe qui n'écrivait plus

Il fixait sa feuille de parchemin vierge, assis devant son bureau de Wolfencrow. Son encrier était ouvert près du papier, et sa plume posée par-dessus.

Car le scribe ne voulait plus écrire.

Il pleurait, pleurait à chaudes larmes.

Car il était seul, cruellement seul.

Les larmes pleuvaient gouttes à gouttes, mouillant le feuillet délicat. Il aurait dû le remarquer et le déposer plus loin, mais il n'en avait cure.

Certes, il était payé. Il était depuis peu employé par le Duc lui-même. Malgré tout, il se sentait atrocement seul. Orphelin depuis toujours, il n'avait jamais eu de famille. Ses amis étaient pour la plupart plus des connaissances ou des alliés que de réels compagnons. Son coeur était vide d'émotions. Et il pleurait, car il n'en pouvait plus.

Chez les Elfes, il avait su qu'il n'était pas chez lui. Chez les Hommes, c'était la même chose. Il avait erré de nombreuses années, à la recherche de son chez-lui. Mais il n'avait pas trouvé. Il avait appris les us et coutumes des divers peuples, il avait même appris leur langue. Mais pour lui, cela restait en vain, car rien n'avait changé. Il se sentait toujours seul et désemparé d'avoir à vivre ainsi. Il avait vu des villageois venir au monde, grandir, se marier, fonder une famille, puis vieillir et mourir. Il avait vu nombre de bons amis mourir à la guerre, ou emportés par des maladies brutales. Il avait vécu longtemps. Désormais, l'épuisement l'avait gagné. Il n'avait plus d'intérêt pour rien. Il travaillait machinalement, sans réfléchir. Il n'en pouvait plus.
Pourquoi les autres avaient la chance de trouver leur âme soeur? Pourquoi les autres pouvaient se faire des amis, une famille, alors que lui restait solitaire? Tous le connaissaient, mais presque personne ne savait même son nom. Il n'était que le Scribe.

Quand il était jeune, il avait espoir que l'amour finirait par cogner à sa porte. Que quelqu'un d'exceptionnel surgirait et que des papillons magnifiques apparaîtraient au sein de son ventre. Mais maintenant, il pensait avoir eu tort. Ces papillons ne viendraient jamais. Son existence devait être d'être dévoué aux autres afin que ceux-ci soient en santé et connaissent le bonheur, car lui ne le connaîtrait jamais. Il ne savait pas quoi faire, et avait perdu espoir.

Le scribe était appuyé contre ses bras croisés, et des ruisseaux coulaient le long de ses joues.

Les larmes effaçaient peu à peu le seul mot inscrit sur le papier, ce mot qui lui rappelait durement qui il était : Peredhel Mythryläm

- Mythryläm ?

Emmitouflée dans un chaud manteau d'hiver, l'elfe aux mains tachées de chlorophylle quitta l'échoppe de l'Elfchimiste et s'approcha du scribe. Ce n'était pas la première fois qu'elle le voyait dans cet état et elle se doutait bien de ce qui rongeait son cœur solitaire. Elle avait cru que le temps et un changement de paysage auraient fait évoluer les choses, surtout sur un sujet aussi badin que la recherche de l'âme sœur, mais visiblement, le jeune scribe était resté prisonnier de son cafard.

Quels mots pourrait-elle lui offrir pour qu'il se ressaisisse une fois pour toutes?

En regardant sur la place enneigée, elle vit, un peu à l'écart, l'elfe aux yeux masqués d'un bandeau et son tonnelet fumant. Ce n'était pas la première fois qu'elle l'apercevait, mais elle n'avait pas souvenir d'avoir commercé avec lui, et encore moins d'avoir humé - car elle ne buvait jamais - les arômes d'une préparation de son cru. Avec un peu de chance, il serait d'agréable compagnie, autant pour elle que pour le scribe dépressif.

- Allons, Myrhtyläm, reprends-toi. Je te paye un verre. Regarde, là-bas. Viens.